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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/217

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de rompre, dans certains cas au moins, la régularité des lois de la nature. Bref, la fonction fabulatrice de l’esprit s’est arrêtée dans le premier cas ; elle a poursuivi son travail dans le second. Mais c’est toujours la même fonction. Elle reprendra au besoin le travail interrompu. Tel fut l’effet de l’introduction de la littérature et plus généralement des idées grecques à Rome. On sait comment les Romains identifièrent certains de leurs dieux avec ceux de l’Hellade, leur conférant ainsi une personnalité plus accusée et les faisant passer du repos au mouvement.

De cette fonction fabulatrice nous avons dit qu’on la définirait mal en faisant d’elle une variété de l’imagination. Ce dernier mot a un sens plutôt négatif. On appelle imaginatives les représentations concrètes qui ne sont ni des perceptions ni des souvenirs. Comme ces représentations ne dessinent pas un objet présent ni une chose passée, elles sont toutes envisagées de la même manière par le sens commun et désignées par un seul mot dans le langage courant. Mais le psychologue ne devra pas les grouper pour cela dans la même catégorie ni les rattacher à la même fonction. Laissons donc de côté l’imagination, qui n’est qu’un mot, et considérons une faculté bien définie de l’esprit, celle de créer des personnages dont nous nous racontons à nous-mêmes l’histoire. Elle prend une singulière intensité de vie chez les romanciers et les dramaturges. Il en est parmi eux qui sont véritablement obsédés par leur héros ; ils sont menés par lui plutôt qu’ils ne le mènent ; ils ont même de la peine à se débarrasser de lui quand ils ont achevé leur pièce ou leur roman. Ce ne sont pas nécessairement ceux dont l’œuvre a la plus haute valeur ; mais, mieux que d’autres, ils nous font toucher du doigt l’existence, chez certains au moins d’entre nous, d’une