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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/218

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faculté spéciale d’hallucination volontaire. À vrai dire, on la trouve à quelque degré chez tout le monde. Elle est très vivante chez les enfants. Tel d’entre eux entretiendra un commerce quotidien avec un personnage imaginaire dont il vous indiquera le nom, dont il vous rapportera les impressions sur chacun des incidents de la journée. Mais la même faculté entre en jeu chez ceux qui, sans créer eux-mêmes des êtres fictifs, s’intéressent à des fictions comme ils le feraient à des réalités. Quoi de plus étonnant que de voir des spectateurs pleurer au théâtre ? On dira que la pièce est jouée par des acteurs, qu’il y a sur la scène des hommes en chair et en os. Soit, mais nous pouvons être presque aussi fortement « empoignés » par le roman que nous lisons, et sympathiser au même point avec les personnages dont on nous raconte l’histoire. Comment les psychologues n’ont-ils pas été frappés de ce qu’une telle faculté a de mystérieux ? On répondra que toutes nos facultés sont mystérieuses, en ce sens que nous ne connaissons le mécanisme intérieur d’aucune d’elles. Sans doute ; mais s’il ne peut être question ici d’une reconstruction mécanique, nous sommes en droit de demander une explication psychologique. Et l’explication est en psychologie ce qu’elle est en biologie ; on a rendu compte de l’existence d’une fonction quand on a montré comment et pourquoi elle est nécessaire à la vie. Or, il n’est certainement pas nécessaire qu’il y ait des romanciers et des dramaturges ; la faculté de fabulation en général ne répond pas à une exigence vitale. Mais supposons que sur un point particulier, employée à un certain objet, cette fonction soit indispensable à l’existence des individus comme à celle des sociétés : nous concevrons sans peine que, destinée à ce travail, pour lequel elle est