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Page:Bergson - Les Deux Sources de la morale et de la religion.djvu/39

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Nous avons cherché l’obligation pure. Pour la trouver, nous avons dû réduire la morale à sa plus simple expression. L’avantage a été de voir en quoi l’obligation consiste. L’inconvénient a été de rétrécir la morale énormément. Non pas, certes, que ce que nous en avons laissé de côté ne soit pas obligatoire : imagine-t-on un devoir qui n’obligerait pas ? Mais on conçoit que, ce qui est primitivement et purement obligatoire étant bien ce que nous venons de dire, l’obligation s’irradie, se diffuse, et vienne même s’absorber en quelque autre chose qui la transfigure. Voyons donc maintenant ce que serait la morale complète. Nous allons user de la même méthode et passer encore, non plus en bas mais en haut, à la limite.

De tout temps ont surgi des hommes exceptionnels en lesquels cette morale s’incarnait. Avant les saints du christianisme, l’humanité avait connu les sages de la Grèce, les prophètes d’Israël, les Arahants du bouddhisme et d’autres encore. C’est à eux que l’on s’est toujours reporté pour avoir cette moralité complète, qu’on ferait mieux d’appeler absolue. Et ceci même est déjà caractéristique et instructif. Et ceci même nous fait pressentir une différence de nature, et non pas seulement de degré, entre la morale dont il a été question jusqu’à présent et celle dont nous abordons l’étude, entre le minimum et le maximum, entre les deux limites. Tandis que la première est d’autant plus pure et plus parfaite qu’elle se ramène mieux à des formules impersonnelles, la seconde, pour être pleinement elle-même, doit s’incarner dans une personnalité privilégiée qui devient un exemple. La généralité de l’une tient à l’universelle acceptation d’une loi, celle de l’autre la commune imitation d’un modèle.

Pourquoi les saints ont-ils ainsi des imitateurs, et pourquoi les grands hommes de bien ont-ils entraîné