Aller au contenu

Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

changements de mouvement y sont fréquents, difficiles à prévoir, et quelques-uns ne sont pas marqués dans la partition. Ainsi, après le dernier temps d’arrêt, Alceste en disant : « Mes chers fils, je ne vous verrai plus ! » doit ralentir la mesure d’un peu plus du double, de manière à donner aux notes noires une valeur égale à celle de blanches pointées du mouvement précédent. Un autre passage, le plus saisissant, deviendrait tout à fait un non-sens si le mouvement n’en était ménagé avec une extrême délicatesse ; c’est à la seconde apparition du motif :

Non, ce n’est point un sacrifice !
Eh ! pourrai-je vivre sans toi,
xxSans toi, cher Admète ?

Cette fois, au moment d’achever sa phrase, Alceste, frappée d’une idée désolante, s’arrête tout à coup à « Sans toi… » Un souvenir est venu étreindre son cœur de mère et briser l’élan héroïque qui l’entraînait à la mort… Deux hautbois élèvent leurs voix gémissantes dans le court intervalle de silence que laisse l’interruption soudaine du chant et de l’orchestre ; aussitôt Alceste : « Ô mes enfants ! ô regrets superflus ! » Elle pense à ses fils, elle croit les entendre. Égarée et tremblante, elle les cherche autour d’elle, répondant aux plaintes entrecoupées de l’orchestre par une plainte folle, convulsive, qui tient autant du délire que de la douleur, et rend incomparablement plus frappant l’effort de la malheureuse pour résister à ces voix chéries, et répéter une dernière fois, avec l’accent d’une résolution inébranlable : « Non, ce n’est point un sacrifice. » En vérité, quand la musique dramatique est parvenue à ce degré d’élévation poétique, il faut plaindre les exécutants chargés de rendre la pensée du compositeur ; le talent suffit à peine pour cette tâche écrasante ; il faut presque du génie.

Le récitatif Arbitres du sort des humains, dans lequel Alceste, agenouillée aux pieds de la statue d’Apollon, prononce