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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/108

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pour assassiner les voyageurs). Je descends donc intact et presque joyeux de mon véhicule, et je me hâte de gravir une des falaises qui s’élèvent verticalement de chaque côté du bourg. Alors, du haut de ce radieux observatoire, je crie à la mer qui rumine son hymne éternel à trois cents pieds au-dessous de moi : « Bonjour, la grande ! » Je m’incline devant le soleil couchant qui exécute son decrescendo du soir dans un sublime palais de nuages rose et or : « Salut, majesté ! » Et la délicieuse brise des falaises accourant pour me souhaiter la bienvenue, je l’accueille par un soupir de bonheur en lui disant : « Bonsoir, la folle ! » et la douce verdure de la montagne m’invitant, je me roule à terre et je me livre à une orgie d’air pur, d’harmonies et de lumière.

J’aurais bien des choses à raconter de cette excursion en Normandie. Je me bornerai au récit du naufrage d’un petit lougre qui, commandé par un joueur de clarinette de Rouen, est venu échouer à deux lieues du port de Saint-Valery. Chose étonnante ! car qui pourrait être plus apte qu’un joueur de clarinette à diriger un navire ? Autrefois on s’obstinait à confier ces fonctions à des marins ; mais on a enfin reconnu tous les dangers de cette ancienne habitude. Cela se conçoit ; un marin, un homme du métier, a naturellement des idées à lui, un système ; il exécute ce que son système lui fait paraître bon ; rien ne le ferait consentir à une manœuvre qu’il juge fausse ou inopportune. Chacun à son bord doit lai obéir, sans raisonner ni