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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/172

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Aberrations et hallucinations de l’oreille.


Un jour, assistant à un concert où l’on exécutait l’une des plus merveilleuses sonates de Beethoven, pour piano et violon, j’avais à côté de moi un jeune musicien étranger, récemment arrivé de Naples, où jamais, me disait-il, le nom de Beethoven n’avait frappé son oreille. Cette sonate lui causait des impressions très-vives et qui l’étonnaient profondément. L’andante varié et le finale le ravirent. Après avoir écouté au contraire avec une attention presque pénible le premier morceau :

« — C’est beau cela, me dit-il, n’est-ce pas, monsieur ? Vous trouvez cela beau ?

— Oui, certes, c’est beau, c’est grand, c’est neuf, c’est de tout point admirable.

— Eh bien ! monsieur, je dois vous l’avouer, je ne le comprends pas. »

Il était à la fois honteux et chagrin. C’est un phénomène bizarre que l’on peut observer chez les auditeurs même les plus heureusement doués par la nature, mais dont l’éducation musicale est incomplète. Sans qu’il soit possible de deviner pourquoi certains morceaux leur sont inaccessibles, ils ne les comprennent pas ; c’est-à-dire ils n’en apprécient ni l’idée mère, ni les développements, ni l’expression, ni l’accent, ni l’ordonnance, ni la beauté mélodique, ni la richesse harmonique, ni le coloris. Ils n’entendent rien ;