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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/227

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Je le laissai dire. Quelques jours plus tard, en me promenant avec lui, je chantais, mais sans paroles, une mélodie qui paraissait le charmer :

« Connaissez-vous cela ? lui dis-je.

— Non, c’est délicieux ; cela doit être de quelque opéra italien, car les ïtaliens au moins savent faire des paroles qui n’empêchent pas de chanter.

— C’est la musique des vers que vous trouviez si antimélodiques l’autre jour. »

Combien de fois ne me suis-je pas amusé à faire tomber dans le même piège des partisans de l’emploi exclusif des vers rhythmiques en leur chantant au contraire une mélodie à laquelle j’avais adapté des paroles italiennes ; puis, quand mes auditeurs s’étaient bien évertués à prouver l’heureuse influence de la coupe des vers italiens sur l’inspiration du compositeur, je soufflais sur leur enthousiasme, en leur apprenant que la forme des vers ne pouvait en aucune façon avoir, en ce cas, déterminé celle de la mélodie, puisque le chant qu’on venait d’entendre appartenait à une symphonie de Beethoven et qu’il avait par conséquent été écrit sans paroles.

Ceci ne veut point dire que les vers rhythmiques ne puissent être excellents pour la musique. Bien plus, j’avouerai qu’ils sont fort souvent indispensables. Si le compositeur a adopté pour son morceau un rhythme obstiné dont la persistance même est la cause de l’effet, tel que celui du chœur des démons dans l’Orphée de Gluck :