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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/282

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lent réel et complet, talent d’or sans alliage. Vous savez comment elle a reçu M. Duponchel, quand il est allé à Londres lui offrir un engagement pour Paris, et comme notre cher directeur est demeuré stupéfait en voyant le cas qu’on faisait de son Opéra et de ses offres splendides ! Pardieu ! Mlle Lind a eu là un beau moment, et jamais elle ne joua mieux ni plus à propos son rôle de déesse.

Je reviens à la chose d’hier. À propos de quoi, s’il vous plaît, venir entre une comédie et un ballet, nous jeter à la tête ce noble fragment de poésie antique qui a nom Orphée, et sans préparation aucune et exécuté d’une si misérable façon ? Que c’est bien là l’idée de quelqu’un qui méprise la musique et qui hait les grands musiciens ! Et choisir Poultier pour représenter l’époux d’Eurydice, ce demi-dieu, l’idéal de la beauté et du génie ! Cela faisait mal à voir et à entendre ; mal pour le chanteur ainsi sacrifié, mal pour le chef-d’œuvre outragé, mal pour les auteurs mystifiés. Une semblable exhibition de Gluck ne se discute pas ; on la constate comme un attentat à l’art. Poultier, dont la voix est gracieuse quand il chante certains morceaux étrangers au style épique, est aussi déplacé dans Gluck qu’il pourrait l’être dans Shakspeare ; il représenterait Hamlet, Othello, Roméo, Macbeth, Coriolan, Cassius, Brutus, le cardinal Wolsey ou Richard III, tout aussi bien qu’Orphée. M. le directeur prendra sans doute fantaisie un de ces jours de nous donner un fragment d’Alceste ou d’Armide et d’en confier le premier rôle à Mlle Nau !