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Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/281

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faire œuvre pie que d’avoir l’air impie ; car on courrait le risque d’offenser en adorant mal. Se figure-t-on un homme qui se bornerait à dire à la déesse Lind : « Divinité ! pardonne à l’impossibilité où sont les faibles humains de trouver un langage digne des sentiments que tu fais naître ! Ta voix est la plus sublime des voix divines, ta beauté est incomparable, ton génie infini, ton trille radieux comme le soleil, l’anneau de Saturne n’est pas digne de couronner ta tête ! Devant toi, les mortels n’ont qu’à se prosterner ; permets-leur de rester en extase à tes pieds ! » La déesse, prenant en pitié de si misérables éloges, répondrait dans sa mansuétude : « Quel est donc ce paltoquet ? »

Eh bien ! en dépit de mes bonnes résolutions, telle est la force attractive qu’exercent les créatures célestes, même sur les êtres grossiers, qu’un jour, après l’avoir applaudie la veille de toutes mes forces dans Lucie, je n’ai pu résister au désir d’aller contempler de près Jenny Lind à Richemont, où j’avais l’espoir de la voir folâtrer sur un âne, comme Mlle Rachel. Mais en arrivant à la Tamise, une distraction m’a fait prendre un autre bateau que celui de Richemont, et, ma foi, je suis allé à Greenwich. J’ai admiré là une foule de petits animaux très-intéressants que le directeur d’une ménagerie ambulante montrait pour un penny, puis je me suis étendu sur l’herbe dans le parc et j’ai dormi trois heures, en vrai cockney, parfaitement satisfait. C’est égal, et plaisanterie à part, Mlle Lind est une maîtresse femme, indépendamment de son immense talent ; ta-