Page:Bernier - Ce que disait la flamme, 1913.djvu/159

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qui, le matin de ce jour, l’avait bouleversé ! Quel sentimentalisme niais, presque bigot ! Quelle misère intellectuelle ! Aimer son pays, quelle horreur d’antan ! Que c’est peu gentil ! le dire surtout, que de roture ! Honte à ce poseur, à ce colon !

N’auraient-ils pas raison, les sourires distingués de pitié ? L’émotion généreuse de Jean perdit beaucoup de force, un moment : elle lui parut vaine, anormale, grotesque. La fatigue à laquelle il avait condamné ses nerfs depuis un an, les avait affaiblis, peut-être même légèrement déséquilibrés. Quelque chose de morbide le faisait sensitif à l’extrême. Il ne se laisserait pas vaincre par l’emballement dont la peur le regagna. On causait d’un tournoi prochain de tennis : il ajouta les siens aux pronostics, les siennes à toutes les boutades, le sien à tous les éclats de rire, il fut charmant. Jusqu’à la minute où survint une brise fleurant la chrysanthème, la feuille du saule et l’eau qui dort sur la rive. Jean l’aspira largement. Il retomba sous l’empire de la nature, celle de « chez nous ». Le fleuve, en sa robe d’argent, portait de si grands souvenirs. Québec flottait dans un mirage de légende. Il venait, depuis les berges de Montmorency jusqu’à la charmille, un souffle d’épopée. Elle n’était plus ridicule, elle n’était pas maladive la