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LE NID DE CIGOGNES.

l’entrée du Flucht-veg, il essaya de remettre en place les débris vermoulus de la porte.

Ils étaient couverts de mousse et de coquilles ; à distance, ils pouvaient se confondre avec la surface raboteuse du roc.

Cette précaution prise, il s’engagea dans le passage, qui s’élevait par une pente douce comme un sentier souterrain dans l’intérieur du rocher.

Soit que les gaz méphitiques, naturellement lourds, se fussent accumulés dans la partie inférieure de la crypte, soit qu’elle reçût de l’air dans la partie supérieure par quelque soupirail inconnu, Frantz en avançant sentait diminuer son malaise ; sa respiration devenait plus calme, plus régulière ; bientôt il eut assez de liberté d’esprit pour faire ses observations.

Le passage était étroit, peu élevé, taillé tout entier dans le roc ; il formait une vaste spirale, dont la base du château était le point culminant. En quelques endroits, l’eau suintant à travers la pierre avait formé à la voûte de petites stalactites dont les cristaux blancs scintillaient à la lumière de la lanterne.

Un calme effrayant régnait dans ces sombres galeries ; seulement le bruit des pas de Frantz éveillait un faible écho, comme si l’étudiant eût été suivi à distance par un personnage invisible.

Quand il s’arrêtait, ce bruit sinistre cessait tout à coup ; alors une goutte d’eau, se détachant de la voûte, tombait sur le roc et produisait une note douce, musicale, pleine de mélancolie.

Enfin il crut être arrivé au terme de sa promenade souterraine ; il avait fait de grands circuits, il lui semblait impossible qu’il n’eût pas atteint les fondations de la tour. Il entra tout à coup dans une espèce de caveau vaste et spacieux, dont la lanterne pouvait à peine éclairer l’étendue.

À sa gauche, une porte était pratiquée dans la paroi du rocher ; cette porte, renforcée de lames de fer, encore garnie de ses verrous, semblait, grâce à la sécheresse de cette partie de la crypte, avoir résisté aux attaques du temps.

Le jeune homme s’arrêta, et, tirant de sa poche le parchemin du hinkende, il chercha sur le plan tracé par le baron Hermann quelque indication relative à l’endroit où il se trouvait ; mais ce côté du plan était presque indéchiffrable et présentait des linéamens confus.

Frantz jugea qu’il s’était trompé et qu’il lui fallait avancer encore.

Néanmoins, avant de poursuivre sa route et de s’engager dans le passage noir qu’il voyait se continuer à l’autre extrémité du caveau, il éprouva la curiosité d’ouvrir cette porte si soigneusement fermée.

Il essaya donc de faire glisser de leurs rainures les verrous, solides encore, et il y parvint avec peine.

Un gros cadenas de forme bizarre et rongé de rouille présenta moins de difficulté, car au premier effort il se brisa.

Alors Frantz, employant toute sa force, poussa la porte ; elle roula sur ses gonds, et son grincement sinistre se répéta dans les profondeurs du souterrain.

XXVI


Le jeune homme, plein d’une frayeur superstitieuse, pénétra dans un lugubre réduit.

On y voyait encore quelques débris de meubles grossiers ; de forts anneaux de fer scellés dans les angles de ce caveau indiquaient qu’il avait pu servir de prison. C’était là, en effet, que Bertha de Steinberg et le sire de Stoffensels avaient péri, disait-on, victimes de l’implacable vengeance du baron Emmanuel.

Mais Frantz ignorait cette légende, et, l’eût-il sue, rien n’eût pu ajouter à l’horreur que lui inspirait cette cache mystérieuse des farouches barons de Steinberg.

Il allait se retirer en frissonnant, quand il aperçut un petit bahut de chêne scellé dans le roc. Il souleva le couvercle, qui semblait avoir été fermé autrefois par un ressort secret, maintenant brisé. Le coffre contenait des liasses de papiers et de parchemins portant encore des traces d’armoiries ; plusieurs de ces papiers semblaient être des titres de propriété, des créances.

Là sans doute les barons de Steinberg avaient jadis caché leurs richesses, fruit du pillage et des exactions. Mais le coffre ne contenait plus aucune valeur en or ou en argent ; ces papiers eux-mêmes, que le baron Hermann, le dernier qui fût venu dans ces tristes lieux, avait déposés là, ne pouvaient plus être utiles à ses descendans ; à peine Frantz les eût-il touchés qu’ils tombèrent en poussière.

L’étudiant poussa un profond soupir, et quitta ce triste caveau. Il s’engagea dans le couloir escarpé qui devait le conduire à la tour.

Bientôt il reconnut à des signes certains qu’il approchait du terme de sa course. Le passage n’était plus taillé dans le roc, mais construit dans l’épaisseur d’une muraille. Frantz avait maintenant à gravir un escalier raide et difficile ; il sentait l’air devenir moins dense autour de lui ; souvent même un souffle de la brise extérieure lui arrivait par quelque fissure imperceptible de la muraille.

Plein d’ardeur, il continuait son ascension, écoutant si quelque bruit étranger viendrait lui révéler le voisinage des hommes.

Tout à coup il fut arrêté par un obstacle inattendu… Une muraille se dressait devant lui ; le passage s’arrêtait brusquement en cet endroit ; nulle issue.

Frantz fut atterré. Cependant, en examinant avec plus de soin la nature de l’obstacle, il reprit quelque espérance. Les pierres de cette muraille, quoique disposées régulièrement, n’avaient aucune adhérence entre elles, comme celles qui masquaient l’autre extrémité du passage ; elles ne pouvaient donc lui opposer une barrière sérieuse.

Mais le malheureux jeune homme, épuisé par sa récente maladie, était à bout de forces ; cette marche fatigante, ce travail manuel auquel il n’était pas habitué, cet air vicié qu’il avait respiré, l’affaiblissaient cruellement ; sa tête bourdonnait, ses jambes se dérobaient sous lui.

La pensée de Wilhelmine en proie aux violences d’un frère insensé lui rendit l’énergie ; il attaqua la fatale muraille avec son pic ; les pierres, n’étant retenues par aucun ciment, tombaient au moindre effort.

C’était le bruit de cette démolition qui, répercuté par les échos du souterrain, avait frappé de terreur la pauvre Wilhelmine.

Frantz était enfin parvenu à déblayer les matériaux qui obstruaient l’issue de la galerie ; mais il n’était pas au bout de son pénible travail.

Derrière la muraille se trouvait une énorme plaque de fer ; il fallait encore renverser cet obstacle pour pénétrer dans le château. Or, son front ruisselait d’une sueur froide, sa main engourdie soutenait avec peine l’outil dont il se servait ; il n’agissait plus que par une espèce de mouvement machinal et convulsif.

Heureusement, il aperçut à l’extrémité de la plaque un verrou communiquant à un ressort secret placé de l’autre côté. Il parvint à faire jouer ce verrou, puis, réunissant toutes ses forces dans un effort suprême, il tenta d’ébranler cette pesante clôture.

Si elle eût résisté, le pauvre Frantz eût succombé sous le poids de tant de fatigues et d’émotions ; mais cette dernière épreuve ne lui était pas réservée. La plaque tourna lentement sur elle-même, et le tableau qui frappa les regards du jeune homme lui rendit la vie près de l’abandonner.

La lourde masse de fer qu’il venait de déplacer était la plaque de cheminée de la chambre occupée par Wilhelmine.

Frantz, s’appuyant d’une main contre la muraille, resta