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Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/204

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voraces s’enfoncer dans des trous d’eau qu’elles empoisonnaient, où flottaient des moirures grasses et troubles, d’une couleur de sang décomposé…

Personne. Aucun bruit, un silence de mort et d’abandon. Puis, dès l’approche du crépuscule, une sorte de résurrection de la vie dans tout l’oasis. Bientôt une rumeur laborieuse emplissait les palmeraies. La pioche des jardiniers sonnait sur les troncs pourris des vieux arbres. On les entendait s’invectiver d’une berge à l’autre, tout en levant les écluses des barrages, et s’accuser mutuellement de soustraire au voisin sa part de l’eau précieuse. Des chèvres, des moutons dévalaient en troupeaux le long des murs des jardinets. Des ânes, entre leurs couffes, passaient au trot, bâtonnés par des hommes aux maigres jambes basanées. C’est alors que Nabira, d’une voix aiguë, rappelait Birzil. Soupçonneuse, la vieille redoutait pour sa captive les mauvais conseils de l’ombre et de la solitude. Et ainsi, au moment où une chance de salut aurait pu s’offrir pour la jeune fille, on la replongeait inexorablement dans la promiscuité odieuse du gynécée.


Un jour, à l’heure la plus brûlante de la sieste, comme elle avait à peu près perdu conscience, un bruit ténu la tira de sa torpeur. Dans cet air extraordinairement sec, les moindres vibrations s’exagéraient, se propageaient à de grandes distances. Elle prêta l’oreille, puis elle vit un vieillard qui, sur la berge opposée, débouchait d’un sentier encadré par des murs de jardins. Il avait les pieds nus. On ne l’entendait pas marcher. Il avançait d’ailleurs lentement, avec précaution, en tâtant le terrain du bout de son bâton : c’était un aveugle. Le dos voûté, presque bossu, il allait à tout petits pas, appuyé d’une main sur son bâton et, de l’autre, tenant une branche de laurier pour se garantir du soleil et chasser les mouches qui se collaient à ses yeux… Tout à coup, il s’arrêta, en tournant la tête. Derrière l’aveugle, venait un cavalier monté sur un superbe cheval numide dont la robe d’ébène