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Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/205

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chatoyait au soleil. L’animal, étroitement tenu en bride, buttait sans cesse contre les galets de la piste. Le cavalier devait être un soldat ou un officier du poste, à en juger par sa casaque rouge et l’aigrette de son casque que dissimulait un chapeau de feuillages destiné à le protéger contre la chaleur. Une courte culotte laissait voir ses jambes nues, qui balançaient, à chaque pied, des bottines légères. Le vieux et lui échangèrent à mi-voix quelques paroles dont le son même n’arriva point jusqu’à Birzil, et, tout en parlant, l’aveugle, avec une sûreté parfaite du geste, montra au soldat un chemin montant, qui escaladait la berge opposée et longeait des clôtures, des jardins et des maisons. Puis il tendit son doigt dans la direction de la terrasse où était la jeune fille, en ayant l’air de dire : « C’est là ! »

Le cavalier piqua des deux. Birzil, le cœur oppressé, le regardait s’approcher de la dune que surplombait le jardin de Sidifann. Il avait enlevé son cheval, qui battait le sol régulièrement, au galop de parade, en s’éclaboussant dans les flaques d’eau de l’oued. Et l’élève de l’écuyer Trophime admirait en connaisseur l’aisance et la grâce souveraine du cavalier… Maintenant, il était tout près, sous le mur de la terrasse. Leurs regards se croisèrent. Elle vit son air de bravoure et de jeunesse et la lèvre en fleur sous la moustache brune naissante. Instinctivement, elle lui envoya le salut à la romaine. Il répondit en souriant. Elle devina qu’il allait crier quelque chose. Avec toute une mimique terrifiée, elle mit un doigt sur sa bouche, pour lui recommander le silence. Immédiatement le soldat, comme pris de panique, tourna bride et disparut dans le chemin montant, sous les palmes pendantes des premiers jardins. Birzil, éperdue, le cherchait des yeux. Elle le vit reparaître devant les maisons en pisé, dont les portes s’ouvraient précipitamment. Un cavalier, à cette heure, dans ce raidillon impraticable, c’était une chose insolite, presque un scandale. Sous ses voiles traînants, une femme jaillit brusquement d’une couverture fauve.