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Page:Binet - La Vie de P. de Ronsard, éd. Laumonier, 1910.djvu/268

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COMMENTAIRE HISTORIQUE

P. 43, l. 3. — Danzich. Cf. Du Perron : « C’est ce grand Ronsard qui a le premier... estendu la gloire de nos paroles et les limites de nostre langue. C’est luy qui a faict que les autres provinces ont cessé de l’estimer barbare comme auparavant, et se sont rendues curieuses de l’apprendre et de l’enseigner, et qu’aujourd’huy l’on en tient eschole jusques aux parties de l’Europe les plus esloignées, jusques en la Moravie, jusques en la Poloigne, et jusques à Dansik, là ou les œuvres de Ronsard se lisent publiquement. » (Or. fun., éd. princeps, pp. 48 et 49.)

J’ai eu déjà plusieurs fois l’occasion de constater les ressemblances qui existent entre l’opuscule de Binet et celui de Du Perron, bien qu’ils diffèrent très sensiblement sur certains points. Mlle Evers écrit à ce propos : « Peut-être se sont-ils inspirés d’un même ouvrage imprimé ; peut-être aussi ont-ils seulement répété ce qui se disait couramment autour d’eux. » La deuxième hypothèse me semble la meilleure pour ce passage. Ils ont pu recueillir la même affirmation au cours d’une conversation avec Galland, Desportes ou Dorat, à laquelle ils assistaient l’un et l’autre. Desportes, qui était allé à Cracovie, à la suite de Henri d’Anjou, roi de Pologne, leur avait vraisemblablement parlé de la vogue de Ronsard en ce pays, peut-être au « festin » qu’il avait offert aux admirateurs du poëte le 18 février 1586 (v. ci-dessus, pp. 191 et 192). Au surplus, je crois que Binet a profité de l’Or. fun. de Du Perron, qu’il entendit prononcer, et dont il eut entre les mains soit le manuscrit, soit le texte imprimé (v. ci-dessus, p. 193, aux mots « de tous costez » ). — Velliard dit de son côté que Ronsard n’était pas seulement lu avidement, appris par cœur comme un auteur classique, loué par les érudits, accepté par la foule comme un oracle, tout cela en France, mais encore que ses œuvres étaient traduites en langue étrangère, religieusement conservées dans les coffrets des rois, répandues jusqu’aux confins du monde civilisé « … è gallico in peregrinum sermonem transferri, in arculis et scriniis regum sanctissimè asservari, spargi ac disseminari in barbaras et externas gentes. » (Laud. fun. II, ff. 15 vo et 16 ro.)

Quant au fait même que les œuvres de Ronsard étaient lues en 1586 dans les pays étrangers du Nord et de l’Est aux « escolles françoises », il n’est pas douteux. — Elles devinrent « classiques » de bonne heure en Angleterre, en Écosse, dans les Pays-Bas et en Allemagne, où sa gloire alla grandissant à mesure qu’elle déclinait en France, ne fût-ce que par l’intermédiaire des élèves étrangers de Dorat (M.-L., Notice sur Dorat, xxxix et xl). Binet entend par les « escolles françoises » non pas seulement celles où enseignaient des Français, mais les cours de français qui étaient faits dans les universités étrangères par des étrangers[1]. En Angleterre, par ex., l’enseignement de la langue française était très répandu dans la deuxième moitié du xvie siècle, et l’un des Anglais qui l’enseignaient alors, John Eliot, préconise dans la pré-

  1. G. Colletet écrit de son côté : « ... il a esté admiré de toutes les nations du monde, dont la pluspart le lisent publiquement dans leurs escholes françoises.… » (Op. cit., p. 100.)