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Page:Binet - La Vie de P. de Ronsard, éd. Laumonier, 1910.djvu/48

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INTRODUCTION

de ce sacrifice en insérant pour la première fois trois nouvelles bribes de conversation, réelles ou imaginaires, en tout cas fondées sur des textes[1].

En résumé, Binet s’est préoccupé d’écrire une biographie qui servît sa propre gloire en même temps que celle de Ronsard, et lui permît de passer à la postérité à la suite du grand homme, comme une simple barque dans le sillage d’un vaisseau de haut bord. Il a fait une biographie poétique, oratoire, anecdotique, bien plus qu’une biographie exacte. Les comparaisons, les antithèses, les périodes, ne manquent dans aucun des trois textes, non plus que les rapprochements forcés entre Ronsard et les poètes grecs, Orphée, Homère, Arion, et même avec Alexandre le Grand[2]. À ce point de vue, le troisième texte de la Vie de Ronsard ne marque pas un progrès sur les deux autres, au contraire : Binet en a poli la forme, plus qu’il n’en a précisé ou enrichi le fond. On y trouve, il est vrai, nombre d’additions, mais la plupart, extraites des préfaces de Ronsard ou recueillies par ouï-dire, sont des enrichissements de style bien plus que de faits. Il faut reconnaître, d’ailleurs, que la forme en est généralement plus correcte et plus claire que celle des rédactions précédentes. Mais cela est loin, très loin de suffire.

Les lacunes sont considérables et les erreurs nombreuses, quoique Binet ait été relativement bien placé, nous l’avons vu, pour connaître non seulement les grandes lignes, mais encore force détails de la vie de son cher Poète, même s’il ne fût pas entré en relations suivies avec lui dans les trois dernières années. Mlle Evers s’étonne que Binet n’ait pas été mieux informé[3]. La chose pourtant s’explique sans difficulté. La faute en est au biographe, évidemment ; mais c’est aussi la faute des circonstances. Je ne crois pas qu’il ait eu l’idée d’écrire cette biographie avant la fin de 1585, alors que Ronsard ne pouvait plus lui fournir aucun renseignement, étant à l’article de la mort ; peut-être même ne l’a-t-il eue qu’au début de janvier 1586, lorsque Galland fut revenu de Saint-Cosme-lez-Tours et lui eut raconté les derniers jours du poète. Ce récit fut vraisemblablement le noyau primitif, ou, si l’on préfère, le point de départ de la biographie. En réalité, Binet n’avait pas pris de notes sur la vie de Ronsard avant ce moment-là. Il fit appel à ses souvenirs ; il se remémora tant bien que mal certains faits, certaines paroles : « Et me souvient que… », dit-il à propos des conversations de Ronsard. Il n’était donc pas préparé pour ce travail, surtout pour l’exécuter en deux mois. — Quant aux contemporains qui pouvaient le renseigner, ou ils étaient vieux, comme Dorat et Baif, ou ils étaient silencieux, comme Pasquier et Jamin, ou ils avaient intérêt à farder ou à taire la vérité, comme Hélène de Surgères et Florent Chrestien.

Pour remédier à ces divers inconvénients il fallait consulter les Œuvres de Ronsard, et cela intégralement, judicieusement, prudemment. Binet eut bien l’idée de les consulter, mais son tort fut de recourir à peu près uniquement à la dernière édition collective, et ce fut encore de le faire sans

  1. V. les nos 4, 10 et 11 du tableau présenté ci-dessus, p. xxxvii.
  2. V. par ex. ci-après, pp. 2, 4, 6, 7, 30 (lignes 32 et 33), 36 (ligne 14), 38 (ligne 14).
  3. Op cit., Introd., pp. 18-19.