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AUX MONTAGNES ROCHEUSES

et à chanter à plusieurs parties. C’est en vérité délicieux d’être seule dans le parc, depuis l’après-midi jusqu’à ce que les dernières splendeurs du crépuscule aient disparu, sans rien autre qu’une Bible et un livre de prières. Où trouver un temple plus digne d’un Te Deum ou d’un Gloria in excelsis que « ce temple qui n’est pas construit de la main des hommes », où l’on peut adorer sans être distrait par la vue de chapeaux de toutes les formes, de chignons curieusement faits, et par les bizarreries innombrables de la mode changeante ?

Je n’oublierai pas de sitôt la première nuit que j’ai passée ici. Hébétée quelque peu par l’air raréfié, charmée de tout ce que j’avais vu, légèrement embarrassée par une compagnie mélangée de gens dont les visages n’étaient pas toujours distincts à travers le nuage de fumée produit par onze pipes, je partis à neuf heures pour ma cabin solitaire, accompagnée par Evans. La nuit était profonde, et le chemin me parut long. On entendait des hurlements (ceux d’un loup, me dit Evans), et deshiboux, qui me semblaient innombrables, criaient incessamment. L’étoile polaire brillait comme une lampe juste en face de la porte de ma cabin. Il gelait très-fort ; Evans alluma une bougie et me laissa ; je fus bientôt dans mon lit de foin. J’avais peur, ou plutôt je craignais d’avoir peur, tout était si étrange ; mais bientôt le sommeil l’emporta sur la crainte. Je fus réveillée par une respiration lourde, un bruit semblable à celui que ferait une scie sous le parquet, qui se soulevait. Le bruit était très-fort. Ma bougie était entièrement brûlée, et, pour dire la vérité, je n’osais remuer. Cela dura pendant une grande heure,