Page:Blanc - Histoire de la révolution française, 1878, tome 1.djvu/17

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les cœurs furent unis par le fanatisme de l’intelligence : un logicien sombre et un philosophe réglé dans sa vie, dans ses haines, dans ses desseins, voilà ceux qui commandent ; voilà ceux qui donnent à immoler au peuple en fureur ses tribuns mêmes et ses courtisans. À Rome, les triumvirs se gorgeaient de dépouilles ; ici, les proscripteurs restent pauvres, et le plus puissant d’entre eux vit sous le toit d’un artisan dont il espère devenir le fils. Ne leur dites pas qu’ils auront leur tour : ils le savent ; ne les menacez pas de l’anathème des races futures : par un dévoûment sans exemple et sans égal, ils ont mis au nombre de leurs sacrifices leur nom voué, s’il le faut, à une infamie éternelle. Invincibles à la peur, supérieurs au remords, qu’invoquent-ils pour s’absoudre ? Leur foi, leur politique profonde, et cette loi de la nature « qui veut que l’homme pleure en naissant. » Mais, sur le point d’apaiser la Révolution pour la conduire, ils tombent vaincus, sanglants et insultés, ils tombent, et ils emportent cette gloire, cette douleur, que leur mort ajourne l’affranchissement de la terre. Quel spectacle ! quels enseignements ! Oui, au souvenir de ces vivantes luttes de la pensée, qui eurent le bonheur des hommes pour objet final, l’échafaud pour instrument, les places publiques pour théâtre, et pour témoin le monde épouvanté ; au moment de réveiller de leur commun sommeil, pour les replacer face à face au bord du gouffre qui les attira tous, maître et sujets, nobles, prêtres, plébéiens, sacrificateurs et victimes ; au moment de vous évoquer afin qu’on vous juge, ombres chères ou condamnées, tragiques fantômes, héros