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Page:Blanc de Saint-Bonnet - La douleur, Maison de la bonne presse, 1911.djvu/63

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Les hommes qui ont vécu à l’abri de la douleur ont ordinairement peu de valeur parmi leurs semblables. La vie n’est parvenue à défricher en eux que la surface de l’âme ; leurs sentiments et leurs affections n’ont pu prendre assez de profondeur. Ils montrent encore cette sorte d’affabilité banale qui s’efface au moment où elle naît ; ils ne connaissent point cette large sympathie qui apaise la douleur dans ceux qui en sont surchargés. C’est ce qui fait dire que le bonheur rend égoïste et que le malheur apprend à compatir. Celui qui n’a point souffert ne sait pas où prendre son âme.

La douleur s’occupe de rétablir l’égalité des consciences et des conditions devant Dieu. L’artisan, qui se fatigue du matin au soir, conserve ordinairement des membres sains et un esprit paisible ; la douleur visite rarement sa pensée ou son corps. Le riche, qui se condamne à l’oisiveté, sent à tout instant sa santé dérangée et son esprit inquiet ; la douleur, suppléant au travail, poursuit sa pensée et sa chair. C’est ce qui fait dire que les pauvres sont heureux et que les riches ont besoin de l’être.