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Page:Boisgobey - Rubis sur l'ongle, 1886.djvu/191

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vaient pas encore échangé dix paroles : une victoria fort bien tenue, attelée de deux superbes bais bruns, conduite par un cocher majestueux et armoriée à profusion.

Il y avait des couronnes comtales jusque sur les harnais.

On les regardait beaucoup, et elles avaient déjà recueilli en passant bon nombre de saluts, mais pas un qui les flattât, car les messieurs qui les leur adressaient étaient beaucoup plus connus à la Bourse qu’au Jockey-Club.

Les grandes dames qui les rencontraient sur ce chemin à la mode faisaient semblant de ne pas les voir, et les horizontales n’osaient pas leur sourire, quoique, pour la plupart, elles sussent fort bien à quoi s’en tenir sur leur compte.

Cet isolement au milieu de la foule élégante n’était pas fait pour rasséréner Herminie. Sa mine grognonne disait assez que cette promenade en tête-à-tête avec la comtesse n’était pas de son goût.

— Tu as l’air lugubre, commença Mme de Malvoisine. À quoi penses-tu ?

— Si je vous le disais, vous ne comprendriez pas, répondit d’un ton sec Mlle des Andrieux.

— Dis toujours.

— Je pense que je voudrais être à la place de cette fillette qui nous poursuit pour nous vendre un bouquet.

— Perds-tu l’esprit ?

— Non, je parle sérieusement. Elle est en haillons et elle ne dînera peut-être pas ce soir, mais elle est libre comme une fauvette, elle va où il lui plaît, elle aime qui elle veut et personne ne se moque d’elle.