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Page:Boisgobey - Rubis sur l'ongle, 1886.djvu/219

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sans motif, dit M. de Mornac, en se campant à califourchon sur une chaise.

— Ah ! que je suis heureux de vous voir !

— Vrai ? Eh bien ! tu n’en as pas l’air, car tu pleures !… comment, à ton âge ! Ah ! ça, tu n’es donc décidément qu’une poule mouillée ?

— Non, mon colonel, je vous assure… c’est cette lettre…

— Une lettre de la petite, parbleu ! Elle t’écrit des choses touchantes. Ce n’est pas une raison pour larmoyer.

— Lisez, mon colonel.

— Je veux bien… et je vais lire tout haut. Ce sera pour toi une aggravation de peine assez méritée.

M. de Mornac commença d’une voix ferme :

« Robert, mon bien-aimé, mon unique enfant, tu m’as désolée en m’apprenant la faute que tu as commise. Je te remercie pourtant de ne pas me l’avoir cachée, car il m’eût encore plus cruel de connaître par M. Labitte la triste vérité. Ta lettre heureusement m’est arrivée en même temps que la sienne.

« Je ne veux pas te gronder. Tu dois déjà avoir assez de chagrin. Ne te tourmente pas de la perte de cette somme. Je vais me la procurer et je te l’enverrai d’ici à très peu de jours.

« L’argent n’est rien ; l’honneur est tout et j’espère que tu n’y as pas manqué. Mais, je t’en supplie, épargne-moi de nouvelles douleurs. J’ai déjà tant souffert. Aie pitié de ma vieillesse, et, puisque tu n’es pas assez sûr de résister aux entraînements de Paris, reviens près de moi. Tu seras reçu comme le fut l’enfant prodigue de la Bible.