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Page:Boisgobey - Rubis sur l'ongle, 1886.djvu/23

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à condition que la musique ne soit pas trop bruyante. Si je chantais, ils se croiraient peut-être obligés de m’applaudir et leur approbation m’est tout à fait indifférente. Je leur joue du Mozart… en sourdine, pour ne pas les déranger.

— Vous aimez Mozart, mademoiselle ? demanda Robert, qui adorait le grand maître Viennois.

— Depuis que j’existe. Étant toute petite, quand je prenais mes premières leçons de piano, il m’arriva un jour d’entendre exécuter par mon professeur un morceau de la Flûte enchantée. J’en fus si ravie que le lendemain, dès l’aurore, je me glissai dans la salle de musique et je me mis à exécuter avec un seul doigt l’air qui m’avait charmée et que j’avais retenu. Je fis tant de bruit que Mme la supérieure accourut et voulut me mettre en pénitence. Je me révoltai… Mozart m’avait grisée… je crois, Dieu me pardonne, que je donnai un soufflet à la vénérable Mère. Ce fut une grosse affaire. Je faillis être renvoyée.

— En vérité, mademoiselle, j’ai beaucoup de peine à croire que vous ayez jamais battu quelqu’un.

— C’est que, depuis ce jour mémorable, je n’en ai pas eu l’occasion. Mais si vous pensez que le ciel m’a douée d’une patience angélique, vous vous abusez, monsieur. Je sens très vivement et j’ai parfois des colères terribles.

— Contre l’imposante Herminie ou contre la comtesse de Malvoisine ? demanda en riant Bécherel.

— Non, monsieur. Elles ne m’en donnent pas sujet. Elles me paient les leçons et ma musique. Je fais consciencieusement mon métier. Nous