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Page:Boisgobey - Rubis sur l'ongle, 1886.djvu/24

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sommes quittes. Les humiliations sont par-dessus le marché et je les supporte sans me plaindre. Mais nous parlons trop et je m’aperçois qu’on nous regarde. Quel morceau de Mozart voulez-vous entendre ?

— Un morceau de Don Juan… à votre choix… De tous ses opéras, c’est celui que je préfère.

Violette se mit aussitôt à jouer l’air de la sérénade. Elle le joua comme il doit être joué, doucement et avec un sentiment exquis.

Robert oublia tout — Mme de Malvoisine, sa superbe pupille et ses bruyants invités, — pour se laisser aller au charme de cette musique délicieuse qui le transportait dans le pays des rêves. Puis vinrent : le trio des masques, l’air si gai de Zerline et le sombre duo final entre Don Juan et la statue du Commandeur : « Pentiti !… No… no… » joués pour Robert tout seul, car personne dans ce salon n’écoutait la grande artiste inconnue.

— Savez-vous, mademoiselle, qu’au théâtre vous auriez un immense succès ! s’écria Bécherel enthousiasmé.

— J’y ai pensé quelquefois, dit la jeune fille, mais je préfère le bonheur paisible aux succès éclatants.

— Le bonheur !… Est-ce donc que vous vous trouvez heureuse dans cette maison où on a pour vous si peu d’égards !… Et vous résignerez-vous à supporter toujours le sort que je ne sais quels malheurs immérités vous ont fait ?

Au lieu de répondre à cette invite en racontant son histoire, Violette sourit tristement et attaqua une sonate de Beethoven.