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Page:Boisgobey - Rubis sur l'ongle, 1886.djvu/34

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pas enfreindre cet ordre, il n’imagina rien de mieux que de se mêler aux joueurs qui se pressaient autour de la table.

Son argent était sur le tapis, puisqu’il avait eu la faiblesse d’accepter l’association proposée par Gustave, et il n’était pas fâché de voir comment tournait la partie.

Il se croyait de force à y assister sans trop d’émotions, car il se flattait d’être guéri de la passion héréditaire des Bécherel.

Il ne songeait pas que le démon du jeu le guettait.

Il ne fallut que la vue de l’or étalé sur le tapis pour lui faire oublier la pauvre Violette qui s’acquittait, non loin de la table d’écarté, de sa triste tâche de musicienne gagée.

Gustave tenait déjà les cartes et Robert arriva tout à point pour l’entendre annoncer à haute voix :

— Messieurs, je fais la chouette.

Faire la chouette, dans la langue des joueurs, c’est jouer seul contre tous, et cette expression imagée est très juste, puisque les autres se coalisent pour attaquer un adversaire unique, absolument comme les oisillons assaillent une chouette qui s’est laissée surprendre par la lumière du jour sur quelque branche d’arbre.

Pour soutenir la lutte, un contre tous, il faut avoir beaucoup d’argent et Bécherel se demanda si son ami perdait l’esprit d’engager le combat, sans autres munitions qu’un seul billet de mille, contre des messieurs qui débutaient par des coups de cinq louis et de dix louis.

Pour commencer, il y en avait bien trente-cinq sur table.