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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/91

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

n’avions pas su leur donner bonne opinion de nous. Eux versent leur sang simplement, comme habitués au sacrifice, et ils s’émerveillent de notre pitié comme si elle était chose extraordinaire, »

Je cause souvent aussi avec les blessés ou les malades, et comme les pensées reviennent toujours vers l’issue possible de la guerre actuelle, j’essaye de prévoir quelle elle sera, par la nature des sentiments qui dominent parmi eux. Je trouve une résignation admirable quant à eux-mêmes, — l’absence de toute rancune et de toute colère quant à l’ennemi. Je parlais hier avec indignation de l’emploi fait par les Prussiens des paysans de Garches comme terrassiers aux ouvrages qu’ils élèvent contre nous auprès de Saint-Cloud ; on avait raconté, peut-être avec exagération, que plusieurs pauvres diables avaient été fusillés pour avoir refusé leurs bras : « Faut pas tant vous emporter, croyez-moi, mon colonel, m’a dit un mobile blessé ; les pauvres ! ils font ce qu’on leur commande, la faute de tout ça, c’est à leurs ordres, faut qu’ils obéissent, qu’ils soient consentants ou non. »

Et presque tous nos soldats raisonnent de même. Certes, je ne voudrais pas verser une seule goutte de fiel dans ces cœurs, car la haine n’est jamais salutaire, mais on se demande où nous conduira, au point de vue de la défense nationale, une telle mansuétude. Il ne me semble pas qu’on sente dans les