Aller au contenu

Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

76
UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

âmes le bouillonnement puissant qui jetait jadis son cri dans la Marseillaise et balayait l’ennemi par delà la frontière. Je ne le regretterais pas si je trouvais à sa place un ferme sentiment du devoir et cette vraie passion de la patrie, assez forte par elle-même pour lever tout un peuple et l’employer à sa défense sans qu’il ne se mêle à son grand amour aucune haine d’homme à homme, mais je ne vois rien de cela. On s’est nourri de la viande creuse du cosmopolitisme, le mot patrie semble une abstraction, et les Français, qui ne savent pas vivre sans la France, ne sauront pas comprendre peut-être qu’ils lui doivent de la défendre ! C’est un cauchemar qu’une telle pensée et il faut la chasser bien vite en te parlant de Maurice.

Ce sera court, car ce mauvais papier pelure supporte mal le croisement des lignes ; d’ailleurs il t’écrit lui-même par chaque ballon. Dis-toi bien qu’il ne s’est jamais mieux porté et que la ration militaire étant de 300 grammes de viande par jour au lieu de 60 alloués aux simples habitants, son célèbre appétit auquel, j’en suis sûr, tu penses bien souvent avec inquiétude, est à peu près satisfait.

Il ne peut pas quitter facilement son bastion et m’a écrit hier pour que je l’autorise à entrer dans ce qu’il appelle le service actif. Il a ouï dire que les généraux, prévoyant des sorties, désirent avoir quelques officiers d’ordonnance spéciaux pour l’artillerie ou le génie, et il demande à se mettre sur les rangs.