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Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/121

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me rendre impénétrable ?… Je l’entrepris, il le falloit… Ma mere s’étoit conduite de maniere à mettre tout le monde dans la confidence de mon amour pour le Comte… Je ſavois qu’une jeune femme, dont on a forcé les inclinations, fixe ſur elle l’attention curieuſe de ceux qui l’approchent ; qu’on va chercher ſes ſecrets juſques dans le fond de ſon ame, & que ce n’eſt pas toujours avec le deſſein de la plaindre.

La contrainte à laquelle je me condamnai pour tromper mes obſervateurs, me fut plus ſalutaire que je n’aurois dû l’eſpérer. A force de vouloir en impoſer aux autres, je parvins à m’en impoſer auſſi ; à ſoupçonner de l’exagération dans mes chagrins ; à leur chercher un adouciſſement dans la diſſipation, & cela me réuſſit. Les nuages qui m’environnoient, s’éclaircirent. Mon cœur recommença de ſe dilater à l’aſpect du plaiſir. Je ſoupirois encore ; mais je n’étouffois plus. L’image du Comte ne s’effaçoit point de mon ſouvenir, mais elle s’affoibliſſoit. Les éloges du Baron me flattoient, comme auroient pu faire ceux d’un meuble de goût, ou d’un bijou de prix. Je prenois, à ſes lettres, un intérêt du même genre : elles étoient vives, galantes, pétillantes d’eſprit ; je ne les recevois avec joie, que pour m’en faire honneur en les montrant.