Aller au contenu

Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 75 )

noiſſez aucun, & peut-être celui qui vous ſervira pour un écu, vous trahira pour deux. Que m’importe, répliquai-je, il ne peut rien m’arriver de plus fâcheux que ce que j’éprouve… Dans mon état, on fait reſſource de tout. Je doublai le pas pour parler à ces gens, & n’en étois qu’à une très-petite diſtance, quand je rencontrai une femme qui ſembloit ſe cacher dans l’enfoncement d’une charmille. Delà elle regardoit, avec une lunette, les perſonnes que nous avions laiſſées à l’entrée de l’enclos. En m’appercevant elle treſſaillit, fit un mouvement pour venir à moi, & s’arrêta à la vue de Mademoiſelle d’Aulnai, qui me fuivoit.

La taille extraordinaire de cette femme, plus encore ſon action, me porterent à l’examiner : ah Ciel ! m’écriai-je, quelle reſſemblance ! Ma ſœur, la voyez-vous ? ou mes yeux me trompent, ou c’eſt lui-même. Jugeant, par ce peu de mots, qu’elle étoit inſtruite de notre ſecret, il ne ſe contraignit plus. Oui, c’eſt lui, dit-il en s’approchant, avec une émotion égale à la mienne ; c’eſt le malheureux Rozane qui revient des portes de la mort, & dont l’eſpérance ſeule prolonge les triſtes jours… Remettez-vous, penſez que nous n’avons qu’un inſtant ; mais qu’il faut que cet inſtant décide de mon ſort, & du vôtre.