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Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme vol2.djvu/146

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prit ſon brillant, ſa fraîcheur ; jamais je n’avois été plus vive, plus gaie, plus jolie, plus coquette. Je ſavourois la gloire de faire tourner la tête à tous les habitants d’une ville, ſans que pas un d’eux pût ſe vanter juſtement de la préférence.

Ivre de louanges, éblouie de mon propre éclat, je crus, quelque temps, poſſéder le bonheur ; mais le vuide de mon cœur m’avertit de la mépriſe. Ces ſentiments, nés dans mon enfance, quelquefois ſuſpendus, jamais détruits ; ce charme qu’une premiere paſſion fait ſeule éprouver, ſe plaçoient entre mes plaiſirs & moi pour en émouſſer la pointe. Rozane, tantôt l’objet de mon dépit, tantôt celui de mes regrets, étoit toujours, ſans que je le vouluſſe, la regle de comparaiſon, dont je me ſervois pour juger les hommes de ma cour. Ils y perdoient tous les jours quelque choſe ; inſenſiblement, je me dégoûtai des ſoins que je me donnois pour leur plaire, & pour effacer mes rivales.

Ce dégoût produiſit le deſir inquiet de changer de lieu, de cercle, d’amuſement… La Province n’en fourniſſant pas à choiſir, l’ennui revint s’emparer de mon ame ; les taches de ma réputation reparurent à mes yeux ; j’allai juſqu’à me repentir d’avoir quitté ma campagne, juſqu’à m’avouer que,