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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/122

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appelle justice. Il se réfugie dans sa cabane pour se jeter tout ému sur le corps glacé de son père. Ce respectable vieillard, aveugle et perclus par l’âge, ne paraît vivre que par un oubli de la mort… « Mon père vous m’avez donné la vie, avec elle un vif intérêt du bonheur. Eh bien ! mon père, des ravisseurs se sont tout partagé. Je n’ai que mes bras, parce qu’ils n’ont pas pu me les ôter. Ô mon père, je suis donc condamné au travaille plus continuel, à l’asservissement le plus avilissant. Au soleil d’août comme aux frimas de janvier, il n’y aura donc jamais de repos pour votre fils ; pour prix d’un si grand travail, d’autres cueilleront les moissons acquises à la sueur de mon front ! et encore si je pouvais suffire à tout : il faut que je nourrisse, loge, habille, chauffe une famille entière. Le pain nous manquera, mon cœur se brisera à chaque instant, ma sensibilité s’émoussera, ma maison s’offusquera. Ô mon père, je vivrai hébété, peut-être même méchant. Je vivrai malheureux. Suis-je misérable, donc né pour cela ? »

« Mon fils, » lui répondit le vénérable vieillard, « le sacré caractère de la nature est tracé dans ton sein avec toute son énergie. Conserve-le toujours pour vivre heureux et fort : mais écoute attentivement ce que quatre-vingts ans d’expérience m’ont enseigné. Mon fils, je t’ai élevé dans mes bras, j’ai protégé tes jeunes ans, et aujourd’hui que ton