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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/38

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ses loisirs de garnison. À Valence, n’étant encore que lieutenant en second au régiment de la Fère-artillerie, il dévora littéralement la bibliothèque de son voisin, le libraire Aurel, — celui-là même qui habitait la fameuse Maison des Têtes, un véritable bijou de la Renaissance.

On a observé un fait analogue au début de la vie littéraire d’Honoré de Balzac. Comme Bonaparte, l’auteur de la Comédie Humaine digéra des bibliothèques entières, afin de réparer les accrocs nombreux qu’avait subis son éducation classique. Quand on considérera que le futur empereur des Français était doué d’une mémoire prodigieuse, sagace, retenant tout des choses, depuis les grandes lignes jusqu’au moindre détail, on s’expliquera plus facilement l’immense fonds de connaissances que dénote la composition de ses œuvres littéraires, politiques et oratoires. Napoléon, en effet, a touché plus ou moins à deux des genres sur trois dont se prévaut la littérature d’imagination ; et il a cultivé les six ou sept genres que comporte la littérature d’analyse. La poésie, le conte, la morale, l’histoire, l’éloquence, la critique, la polémique, les voyages, ont fourni des aliments à sa plume fébrile et dévorante. De ses nombreux travaux d’homme de lettres, les uns sont d’un simple polygraphe et n’ont qu’une valeur de curiosité ; les autres émanent d’un admirable écrivain, d’un grand artiste en prose, absolument complet, n’ignorant rien des secrets de l’art. Pour donner une conclusion critique à cet égard, je dirai de Napoléon Bonaparte qu’il a été un pamphlétaire et un épistolier de talent ; mais qu’il y a aussi en lui un orateur et un historien de génie. Voilà son bagage artistique devant la postérité. Il n’est pas mince, surtout si l’on réfléchit que notre auteur a été quelque peu distrait par d’autres soins au cours de sa carrière littéraire. Enfin, Napoléon a sa place marquée, en art, parmi les créateurs. Il a enrichi la prose française d’un genre inconnu avant lui ; il a créé chez nous l’une des plus belles branches de l’éloquence : cette chose grave, enthousiaste, entraînante,