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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/39

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sonore comme une ode, bruyante comme une sonnerie de clairon, véritable poème en prose, dont la lecture enflammait les cœurs, qu’il a baptisée la proclamation, et qui sert, en quelque sorte, de thème explicatif à l’immense cantate de la guerre.

Ce personnage, qui parcourait le monde à la tête d’armées incessamment renouvelées, qui ne songeait qu’aux âcres satisfactions de la victoire, cet amoureux de la guerre, de l’aventure, toujours en quête d’une diversion propre à étonner l’Europe, savait aussi, quand il le voulait, devenir le plus séduisant des hommes d’esprit, le plus charmant des causeurs. Beaucoup de ses conversations ont la largeur enflammée des conversations de Pascal. Celles qui nous ont été conservées, toutes marquées de mots caractéristiques, de réflexions originales et pittoresques, font regretter ce qu’on a perdu de la parole si stylée de Napoléon. J’ai cité plus haut sa frénétique échappée sur l’Orient, la veille d’Austerlitz. Il en existe d’autres, tout aussi savoureuses. Le Mémorial de Sainte-Hélène, écrit par un homme d’un cœur et d’un tact exquis, est à ce sujet une mine inépuisable. Il contient, en maintes pages, le plus brillant commentaire de Napoléon écrivain. Mais l’empereur possédait encore le don, plus rare qu’on ne croit, de se plier à toutes les formes de causerie, et cela dans quelque milieu que ce fût. Aux armées, aux camps, dans les palais, à la porte des villes, au Conseil d’État, à l’Institut, — dont il faisait partie comme membre de la première classe, section des arts mécaniques, en compagnie de Monge et de Prony, — au Sénat, au Corps législatif, comme aussi en famille, à La Malmaison, à Saint-Cloud, ou encore dans l’admirable parc du château de Mortefontaine, chez son frère Joseph, il donnait à sa parole le caractère particulier qu’exigeaient les auditeurs et le lieu, d’une manière si calme, si disciplinée, si appropriée aux circonstances, qu’on pouvait croire, — disent ses amis, — qu’il s’était exercé de longtemps à composer dix ou douze variétés de discours, chacun de ces