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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/41

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fin de ce dîner, il tint ses auditeurs sous le charme, leur racontant sa vie militaire à Valence, ses relations avec le libraire Aurel, dont il lisait tous les livres, ses conversations fréquentes avec l’abbé de Saint-Ruf, madame Grégoire du Colombier, les deux premières personnes qui l’eussent façonné aux usages du monde. Il existe d’autres preuves bien concluantes de cette extraordinaire mémoire. Napoléon aimait à dire que la nature l’avait doué, notamment, de la mémoire des chiffres, des physionomies et des lieux ; et de fait, il eut souvent l’occasion d’accomplir des prodiges à ce triple point de vue. Il lui arrivait très souvent de reprendre ses ministres, en leur citant les détails ou l’ensemble numérique de leurs comptes les plus anciens.

Cette esquisse morale de Napoléon Bonaparte serait incomplète si, toujours en vue de bien saisir son tempérament littéraire, on passait sous silence son penchant réel pour la gaîté. Fleury de Chaboulon dit qu’il badinait « volontiers » ; et, le brave Gourgaud l’affirme, le fond de son caractère était « une humeur enjouée. » Le grave Benjamin Constant déclare même que l’empereur abondait en « plaisanteries ». Comme le dit fort bien Victor Hugo, ces gaîtés de géant valent la peine qu’on y insiste. À Sainte-Hélène, aux jours les plus sombres de sa destinée, quand il se plongeait dans la masse confuse de ses souvenirs, que Bertrand et Las Cases buvaient ses paroles, Napoléon trouvait assez de calme pour raconter quelques-unes de ses « plaisanteries » de camp et de caserne, — farces fort anodines faites à des grenadiers de sa garde ou à de jeunes officiers qui avaient mérité la brimade du maître. Ridet Cæsar, disait-on dans les rangs de la légion Fulminatrix. M. Imbert de Saint-Amand s’est particulièrement attaché à mettre en évidence le Napoléon-homme d’esprit ; et je ne puis mieux faire que de renvoyer les lecteurs à cette aimable et impartiale source de renseignements[1]. Même au

  1. Voyez notamment La Femme du premier Consul. (Dentu.)