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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/44

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tiste et politicienne, non plus. Ouvrez plutôt la Vie d’Antoine, dans Plutarque. Octave-César, prenant les devants sur son rival, entre en Épire et s’empare de la petite ville de Toryne. À cette nouvelle, Antoine et ses amis se troublent ; mais Cléopâtre joue sur le mot : « Quoi d’étrange, dit-elle, à ce que César soit assis la cuillère en main ? » Toryne, en effet, équivaut en grec à « cuillère à pot. » Pour Napoléon, ce ne sont point les noms des villes, mais bien ceux des individus, qui lui permettaient de descendre jusqu’au jeu de mots, extrémité de laquelle il s’échappait vite. L’année même de son mariage avec l’insignifiante archiduchesse Marie-Louise, la plus effacée des souveraines qu’ait eues la France, Napoléon apprend par Savary que le pape a rendu contre lui une sentence d’excommunication basée sur sa soi-disant polygamie[1], et que l’abbé d’Astros, grand vicaire capitulaire de l’archevêché, l’a secrètement fait afficher à la porte de Notre-Dame. L’empereur était attendu au Conseil d’État ; il y entra, fort en colère. « Quel bigot que ce d’Astros ! Quel bigot ! » furent ses premières paroles ; puis : « J’y mettrai ordre. » Résolument, il marcha droit à l’un des membres de l’assemblée, lequel se tenait debout. - « Bigot, dit Napoléon, je vous fais ministre des cultes ! » — Et de fait, à partir de ce jour, l’excellent, souriant et médiocre Bigot de Préameneu fut ministre des cultes. Ce même penchant à la gaité spéciale du « mot» valut une préfecture à l’un des débris de la Convention, le sceptique Jean-Bon Saint-André. Un soir, le maître l’aperçoit dans le salon des Tuileries et court à lui. — « Comment, vous voilà, Jean-Bon ? Vous devriez être à Mayence ! » L’autre sourit, ce qui enleva l’affaire. Et, comme le ministre de l’intérieur passait : « Je viens, dit gravement Napoléon, de nommer M. le baron de Saint-André préfet du département du Mont-Tonnerre. » Trois jours après, Jean-

  1. La générale Durand raconte la scène en détail, dans ses Mémoires (C. Lévy, éditeur.)