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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/43

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comique, ne constituent deux importantes qualités. Généralement, les pessimistes ne saisissent point tous les détails du drame humain, et partant, sont de moins bons peintres que les esprits dénués de prévention, exempts d’amertume. Aristophane, Térence, Rabelais, Cervantes, Molière et La Fontaine, donnent de l’homme une idée autrement vivante que Perse, Byron, Lamartine, Musset, Shelley et Léopardi, quoique ce soient là de grands poètes et de glorieux artistes de lettres. J’aime mieux Saint-Amant godaillant au cabaret, tutoyant le vin, apostrophant les brocs, enrichissant le vocabulaire de bonnes expressions bachiques, qu’un Millevoye pleurnichant sur les bois qui jaunissent, qu’un Gilbert insultant la vie parce qu’il est entré à l’hôpital. Le premier me donne de l’humanité une peinture éternelle comme le monde ; il continue la flamboyante tradition du vice sublime de la bonne humeur ; il enrichit son art, l’art du poète lyrique. Les deux autres ne me parlent que d’eux et de leur cas particulier, sans profit d’ailleurs pour la littérature, laquelle ne compte déjà que trop de pleureurs de parti pris. En effet, tout le monde mange et boit comme Saint-Amant ; mais il y a peu de poitrinaires, relativement, et plus de gens dans la rue qu’à l’hôpital. Encore ici, l’auteur du Souper de Beaucaire et des Proclamations était choyé par la nature. Sa façon d’observer, de regarder l’homme, étant en parfaite harmonie avec l’immense registre de ses sensations, on conçoit que son œuvre littéraire, — méprisée à plaisir des pédants et des sots, ou niée systématiquement par certaines églises politiques, — porte la marque d’un tempérament unique, unissant le rêve et l’action, donnant à la phrase écrite la saveur exquise et si rare de la chose vécue. Au lieu d’un Quinte-Curce, s’ingéniant à recueillir des traditions ou assemblant des récits venus de droite et de gauche, voit-on d’ici ce que serait une histoire d’Alexandre écrite par Alexandre lui-même ?

Enfin, détail inattendu chez cet homme extraordinaire, Bonaparte n’a pas dédaigné le calembour ; Cléopâtre, ar-