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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/56

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au Chef de la Calotte. Mais voici qui devient plus sérieux. L’abbé Raynal a fondé un prix à l’Académie de Lyon. Quinze cents livres à gagner ! La bourse plate du lieutenant d’artillerie s’accommoderait fort d’une telle aubaine. Mais là n’est point le mobile qui le fait se mettre au travail, car Bonaparte va concourir. « Déterminer les vérités et les sentiments qu’il importe le plus d’inculquer aux hommes pour leur bonheur. » Le sujet est vaste ; mais notre homme est ambitieux. Et puis il aime tant à écrire ! On est en 1790. La Révolution vient d’élargir les idées du quasi-indigent officier ; elle a agrandi son horizon intellectuel et moral ; il admire les discours de Mirabeau ; car lui aussi, comme les autres, comme les généreux, comme les vaillants, il est devenu républicain. N’a-t-il pas reçu, d’ailleurs, le grand coup de soleil du Midi ? Il emploie les mois de novembre et de décembre à rédiger son traité de morale ; puis il l’expédie d’Ajaccio à la commission d’examen. Mais la docte Académie de Lyon, comme toutes les académies de province, n’aime point à brusquer les choses. La distribution des palmes est ajournée. Les années se passent ; Bonaparte est entré comme capitaine au 4e régiment d’artillerie. Enfin, en 1793, la bonne académie sort de son mutisme. Daunou a le prix. Les vieillards n’en font jamais d’autres. Lequel des deux est le plus arrivé de Bonaparte ou du lauréat ?

Le Discours sur le Bonheur, quoi qu’on en ait dit, méritait mieux que d’être dédaigné de ceux qui l’avaient lu et jeté au feu par son auteur. À la vérité, l’œuvre n’a point une grande portée philosophique ; le style est loin d’être parfait ; mais quel progrès ! quelle solidité dans la langue ! Il y a là comme une promesse de talent. Je ne puis faire moins que de citer ce passage, ou plutôt ce cri humain : « Pontavéri est arraché à Taïti : conduit en Europe, il est accablé de soins ; l’on n’oublie rien pour le distraire. Un seul objet le frappe, lui arrache les larmes de la douleur : c’est le mûrier à papier. Il l’embrasse