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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/58

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qui ne connaît point encore ces bizarres particuliers appelés les hommes, ni les égoïstes ressorts qui les mettent en mouvement, allez donc dire à cet échappé de collège nourri de son Caton, farci de son Thraséas, rissolé dans Harmodius et Aristogiton, que les choses ne se passent pas comme il se plaît à le croire, et qu’un traité de morale ou de politique n’a pas grande chance de modifier l’humaine folie ! Vous serez bien accueilli. Il m’est, cependant, agréable de constater en passant que Napoléon Bonaparte n’a pas été exempt d’accès de républicanisme et de sensiblerie philanthropique. Il a vibré, tout comme un autre. Son talent littéraire n’existe qu’à partir de la virulente Lettre à Buttafuoco, dont la première édition remonte à 1791. Ce Mattéo Buttafuoco, si bien étrillé par son jeune compatriote, avait été l’agent le plus actif du cabinet de Versailles, lors de la conquête politique et militaire de la Corse. Le fameux traité de cession, du 15 mai 1768, est en grande partie son œuvre, ou du moins passe-t-il pour l’avoir inspiré. Le malheur, c’est que Buttafuoco s’avisa de demander, à la tribune de l’Assemblée nationale, qu’on exceptât la Corse du droit commun, à l’heure solennelle du vote de la Constitution. On sait toute la susceptibilité patriotique du futur héros de Toulon. L’indignation le fit pamphlétaire. Il foudroya le député corse ; et même, la littérature française offre peu de morceaux satiriques plus réussis. Buttafuoco ne s’en releva jamais. Les clubs le baptisèrent l’Infâme. Quant à Bonaparte, il donna là une grande preuve de courage. Militaire, il jouait gros jeu en s’attaquant ainsi à l’un de ses supérieurs, — Buttafuoco était maréchal de camp ; — le désordre général de l’époque le sauva. Cette fois, son style est formé ou presque. Il y a bien encore, dans ce pamphlet, quelques accents déclamatoires, mais c’est peu de chose en comparaison des œuvres précédentes. Quelle énergie ! quels coups de plume ! Jamais homme n’a été aussi cruellement dépecé. « On dirait, s’écrie Stendhal, un pamphlet écrit en