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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/67

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tain le Blanc porte l’étendard bénit par le pape ; plus loin, flotte la bannière ducale, la terrible bannière aux trois lions. La scène est belle, il faut en convenir, tant le noble métier des armes poétise les plus rudes physionomies, les plus âpres natures. Qui devinerait, à les voir ainsi, que tous ces guerriers songent au pillage et au butin ? La célèbre Tapisserie de Bayeux nous a conservé la plastique, la mise en scène, du début de cette fameuse journée, juste au moment où Guillaume va prendre la parole : Hic Willelm dux alloquitur suis militibus… En effet, lorsque les trois corps d’attaque commencent leurs dispositions pour la marche, le duc élevant la voix, se met à parler. La Chronique de Normandie et Robert Wace vont nous donner le texte de cette aïeule des proclamations françaises. « Mes vrais et loyaux amis, dit Guillaume, vous avez passé la mer pour l’amour de moi et vous êtes mis en aventure de mort, ce dont je me tiens grandement obligé envers vous. Or, sachez que c’est pour une bonne querelle que nous allons combattre, et que ce n’est pas seulement pour conquérir ce royaume que je suis venu ici d’outre-mer. Les gens de ce pays, vous ne l’ignorez pas, sont faux et doubles, parjures et traîtres… Pensez à bien combattre et mettez tout à mort, car si nous pouvons les vaincre, nous serons tous riches. Ce que je gagnerai, vous le gagnerez ; si je conquiers, vous conquerrez ; si je prends la terre, vous l’aurez… Pensez aussi au grand honneur que vous aurez aujourd’hui, si la victoire est à nous… Pour Dieu ! que chacun fasse bien son devoir, et la journée sera pour nous. » Voilà comme on parle aux soldats. Quelques jours après, Guillaume le Bâtard devenait Guillaume le Conquérant, une dynastie française allait régner sur l’Angleterre ; et des charretiers, des sardiniers, des portefaix, des cabaretiers ruinés, des bouviers, gens sans feu ni lieu, l’excrément même de la France, tous transformés en gentilshommes, se disposaient à fonder, à mettre au monde, cette fière aristocratie britannique dont l’égoïsme et la morgue nous étonnent tant aujourd’hui. Jolie origine !