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Page:Bonaparte - Œuvres littéraires, tome 1, 1888.djvu/66

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ce dernier à la soldatesque, un ton de hauteur personnelle, de brutalité, que repousse toujours la forme plus lyrique, plus majestueuse, de Napoléon.

En dehors d’Alexandre et de César, il y a d’autres exemples de proclamations célèbres avant Bonaparte. Il est vrai que Bonaparte a mis tout le monde d’accord en se plaçant au premier rang. Un Français du moyen-âge, Guillaume le Bâtard, duc de Normandie, puis roi d’Angleterre par la toute-puissance de la conquête, a su parler habilement à ses soldats, avec le véritable ton d’un chef militaire. Nous sommes au 14 octobre 1066, le jour de la bataille de Hastings. Les Saxons du roi Harold, le rival de Guillaume, ont passé leur nuit à chanter des chants nationaux, tout en vidant des cornes remplies de bière et de vin. Les Normands, eux, ont employé cette même nuit à se confesser, à réciter des litanies. Le matin, au milieu des rangs français, l’évêque de Bayeux a jeté, un rochet par dessus son haubert, puis il a dit la messe, béni les troupes ; après quoi, prenant son bâton de commandement, il a fait mettre la cavalerie en ordre. Les Normands forment trois colonnes d’attaque : les gens d’armes et les aventuriers, les auxiliaires bretons et poitevins, la chevalerie. Sur les flancs de chaque division de bataille marchent des fantassins aux casaques matelassées, portant des arcs de bois, des arbalètes d’acier. Les gens à cheval ont des cottes de mailles, des heaumes en fer poli de forme conique ; ils sont armés de fortes lances et de longues épées. Tout ce monde est venu d’un peu partout à la curée : du Nord, du Midi, de l’Anjou, du Poitou, de l’Aquitaine et d’autres lieux. Des noms allemands, communs sur les bords du Rhin, coudoient les sobriquets bourguignons et languedociens dans les listes des hommes de la Conquête. Enfin, Guillaume paraît ; il monte le cheval qu’on est allé prendre pour lui, en pèlerinage, à Saint-Jacques-de-Galice ; à son cou pendent les reliques sur lesquelles le malheureux Harold a juré l’abandon de son royaume. À côté du duc de Normandie, Tous-