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Page:Bonnetain - Charlot s'amuse, 1883.djvu/315

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CHARLOT S’AMUSE

partout, descendant de collage en collage jusqu’à une misère noire qui l’avait fait rouler, peu à peu, dans la boue. Ce n’était cependant pas entièrement sa faute. Si son premier homme avait été honnête, elle serait encore avec lui, mais il l’avait dépravée à plaisir, et devenu agent des mœurs, l’avait fait mettre en carte pour vivre à ses dépens, sans souci.

Elle racontait cela, tranquillement, d’une voix traînarde, avec des mots crus, des détails cyniques, comme ne comprenant pas l’horreur de ce qu’elle disait. Et Charlot regardait son front bas, ses pommettes saillantes, ses petits yeux ; et dans sa beauté inintelligente et vulgaire, il retrouvait confusément, dans une répulsion instinctive contre ce souvenir, quelque chose des traits de sa mère avec cette apathie abrutie du regard qu’il lui avait vue, l’autre jour, à la Salpétrière. En même temps, une colère lui venait contre la société qui permettait de telles horreurs : cette fille élevée au hasard dans les exemples mauvais, tandis que ses parents s’échinaient loin d’elle au travail, cette corruption la prenant dans la rue et à seize ans la livrant, détraquée déjà, au premier venu, puis, cette police abusant de la malheureuse sans défense, vivant d’elle comme d’une chose, la parquant dans le vice et