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Page:Bouasse - Capillarité - Phénomènes superficiels, 1924.djvu/7

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SCIENCE ET PROFESSORAT



Je n’ai pas d’illusion sur les sentiments que j’inspire à la plupart des savants français ; les étrangers me rendront cette justice que je ne m’occupe que de leurs travaux, trop ignorant de l’organisation des études et du travail scientifiques hors de nos frontières pour avoir la prétention saugrenue de leur donner des conseils. Ce qu’on appelle la coopération intellectuelle me semble une vaste blague, sinon pour des travaux de manœuvre comme la Carte du ciel, la confection d’une bibliographie générale ou l’échange des livres entre bibliothèques : dans ces besognes l’intelligence n’a que faire. Les étrangers demandent aux Français d’être français avec leurs qualités et leurs défauts ; nous demandons aux étrangers d’être eux-mêmes : ce qui par définition exclut toute coopération intellectuelle, autrement que dans ce sens général que chacun s’efforcera, à sa manière et de son mieux, de pousser le Char de la Science.

Mes chers compatriotes me reprochent in petto (ce ne sont pas choses à proclamer) d’essayer, suivant mes moyens, un tableau général de la Science acquise. Je suis un gâcheur, un empêcheur de danser en rond parce que le tableau, pour mal brossé qu’il soit, ne laisse pas de servir de repoussoir aux œuvres géniales qui grandissent autour de nous comme champignons en forêt après l’orage. S’il faut en croire les interviews que publient les journaux, les littérateurs modernes ne lisent rien, les peintres seraient joyeux que le Louvre flambât, les musiciens supprimeraient allègrement les œuvres de Bach ou de Beethoven.

Les savants ne demandent pas encore qu’on relègue Newton et Fresnel dans le placard aux vieilles lunes : mais cela viendra.

Il est clair que si l’on annulait à mesure tout le passé, les vivants nous paraîtraient beaucoup plus grands, faute d’un étalon de mesure ; ils sont dans la logique de leur vanité en demandant qu’on déblaie : « Enlevez les vieux, car ils sentent ! »

Tout élève du Conservatoire à qui l’on apprend à prononcer les mots, pense qu’on éteint son génie, qu’on brise ses ailes, qu’on atrophie son idéal artistique. Jusqu’à présent les savants ne tombaient que par exception dans ces godants ridicules ; mais voici qu’ils élèvent à la hauteur d’un