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Page:Bouasse - Capillarité - Phénomènes superficiels, 1924.djvu/8

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principe le mépris de toute instruction. Je vous laisse à penser de quel œil ils voient le monsieur qui rend accessible la Science acquise, et qui, bon gré mal gré, les oblige à se mettre au courant pour que leur ignorance foncière n’apparaisse pas trop grotesque.

Les conséquences de cet état d’âme méritent qu’on les tire : mes savants compatriotes m’en voudront un peu plus ; mais ils ne peuvent ignorer à quel point leurs sentiments à mon égard me sont indifférents.

Et quum in alto jacet, despicit.




C’était fatal : ne sachant rien, incapables de s’exprimer autrement que dans un incompréhensible charabia, nos savants devaient mépriser le professorat, qui exige un minimum de connaissances et se concilie mal avec le bégaiement physiologique et intellectuel. D’où la classification commode : au sommet les hommes de génie, les découvreurs, dont ils sont naturellement de merveilleux exemplaires et à qui l’on doit sinécures et respect ; très au-dessous, à une distance immesurable tant elle est grande, les pauvres hères de professeurs. Corollaire : il faut décharger ces messieurs très forts de toute occupation servile qui les distraie de leurs éminents travaux ; nous, contribuables, devons suer pour les nourrir, à méditer si les limites du monde sont planes ou courbes.

Le bœuf Apis se révélait par un croissant sur le front et quelques autres signes caractéristiques ; vous déterminez sans peine si le nouveau-né est manchot ou cul-de-jatte, aveugle ou bossu. Malheureusement le génie se distingue plus malaisément : c’est à l’œuvre qu’il apparaît.

Par malchance, pour les sciences expérimentales, les enfants prodiges n’existent pas : comment faire la sélection ?

Ne dites pas qu’elle résultera d’un examen, puisque l’examen porte nécessairement sur la science acquise, science que vous méprisez cordialement (retournez-vous de grâce et l’on vous répondra !).

La sélection résultera-t-elle d’un premier mémoire ? Bon prince, je vous l’accorde. Vous avez donc accouché d’un travail pas trop insignifiant ; vous donnez de grandes espérances ; on vous sacre génie en herbe, on vous paie pour travailler dans un laboratoire. Soit ! mais à une condition : on vous coupera les vivres si vous ne produisez pas régulièrement du bon travail et si vos mémoires ne montrent pas un progrès systématique vers la perfection, toute relative, exigible, d’un monsieur renté par les contribuables ad majorem gloriam patriæ.

Eh bien ! souffrez que moi, contribuable français, je repousse ce système, parce que je connais notre administration.

On vous nommera génie en herbe parce que fils à papa ; on vous conservera votre sinécure même si vous ne faites rien qui vaille, primo parce que fils à papa, secundo parce qu’en France dès qu’on tient une place, il n’y a pas d’exemple qu’on la perde par incapacité.