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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/156

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J’avais vu, dans la cathédrale, la pierre sur laquelle était Jean Hus au moment où on lui fit la lecture de l’arrêt du concile qui le condamnait à être brûlé vif, pierre qui, assure-t-on, est la seule du temple qui soit toujours restée sèche depuis cette condamnation. Il fallait bien voir aussi, dans un des faubourgs, l’endroit où la sentence avait été exécutée en 1415, et où fut également brûlé à petit feu, un an après, Jérôme de Prague, son disciple, qui avait voulu le défendre. À cette époque, les mœurs étaient peu parlementaires. Il y a soixante-dix ans que, chez nous, elles ne l’étaient pas davantage. Quelle différence voyez-vous entre les juges de Constance et ceux de nos tribunaux révolutionnaires ? Les conciles eurent aussi leurs Marat et leurs Fouquier-Tinville.

Quoique la ville ne soit pas bien grande, je trouve moyen de m’y perdre. Un officier badois, à qui je m’adressai, vint poliment me conduire. Il parlait français. Arrivés tout causant sur le port, il m’invite à monter avec lui un escalier, et je me trouve dans une immense pièce soutenue par des colonnes en bois grossièrement faites, et qui sert de halle aux toiles. Cette salle précède celle où fut tenu le concile. C’est là qu’a été élu Martin V : époque féconde en papes, car il en existait deux autres, Jean XXIII et Benoît XIII. On ne peut pas dire ici : Abondance de bien ne nuit pas, car il en est résulté un grand schisme et un non moins grand scandale. Je ne sais si nous valons mieux que nos pères, mais, de notre temps, on n’oserait braver à ce point la religion et la conscience publique, et il ne se trouverait pas trois prêtres assez osés pour se disputer ainsi la tiare.