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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/191

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bien, ce qu’il fait. Ma voisine, attirée par le bruit, était accourue, et quand elle vit que le réclamant qui m’avait laissé ses habits atteignait à peine à mon épaule, ses rires recommencèrent de plus belle. En effet, l’échange était tout à mon préjudice : il eût pu faire raccourcir mes habits, mais il m’eût été difficile de faire allonger les siens.

Bien des années s’étant écoulées depuis mon dernier voyage à Bâle, j’étais curieux de revoir les lieux témoins des impressions de ma jeunesse. La ville avait encore cette même propreté qui m’avait frappé quarante-cinq ans avant, mais elle ne me parut pas plus animée : même tristesse, même solitude. Ce n’est pas que la ville soit déserte, on y compte vingt-huit mille habitants, mais ces habitants aiment à rester chez eux ; il semble qu’ils craignent de salir leurs rues en s’y promenant, et pour y prendre l’air, il faut absolument que quelques affaires les y contraignent. Les femmes surtout sont les plus casanières du monde, et celles des harems sont des coureuses à côté.

Installé dans ma chambre, je demande quelle est l’heure de la table d’hôte. On me répond qu’il n’y en a pas. Mauvais signe : j’étais certain d’être mal et chèrement, car tel est en général le régime des grands hôtels sans tarif ou sans carte indiquant les prix. Un hôtel sans carte est un État sans charte, dont l’hôtelier est il re netto. Souverain despotique, son hôte est à sa discrétion dès qu’il a passé le seuil et goûté le pain et le sel, et il y est prisonnier jusqu’à ce qu’il ait payé une rançon du chiffre de laquelle le maître du lieu est l’arbitre souverain et sans appel.