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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/192

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En attendant qu’on me servît, j’allai revoir le pont du Rhin. C’était la sortie des ateliers ; l’animation qui y régnait faisait contraste avec la solitude des autres quartiers. Le Rhin, en cet endroit, est vaste et beau. La vue est grandiose, et un coucher du soleil splendide l’embellit encore.

Tandis que je considérais ce grand spectacle, j’en servais moi-même à une petite fille de six à sept ans, qui, plantée devant ma personne, ne me quittait pas des yeux. Ce n’était pas une mendiante : elle était bien mise et ne disait mot. Ce n’était pas non plus une idiote : elle avait une mine aussi éveillée qu’intelligente. Que voyait-elle d’étrange dans ma figure ou mon costume ? Je ne saurais le dire, mais ses regards ne me quittaient pas d’un instant, et quand je m’éloignai, ils me suivirent encore tant qu’elle put m’apercevoir. Dans les très-jeunes enfants, on en rencontre souvent qui sont pris tout d’un coup de cette curiosité bizarre qui tient de la fascination. Ils ne vous ont jamais vu, et il semble qu’ils cherchent à vous reconnaître. Leurs yeux, tout ouverts et immobiles, attachés sur vous, ne peuvent plus s’en séparer. On n’aperçoit dans leurs traits rien qui annonce la peur, c’est plutôt le sentiment contraire, une sorte d’attraction, mais qui ne leur donne pas non plus l’épanouissement du plaisir : c’est un air méditatif que votre vue leur inspire. Ils n’essaient ni de vous caresser ni de vous frapper ; ils vous considèrent en gardant une immobilité et un mutisme complets. Ceci se voit surtout chez les enfants encore à la mamelle ou de deux à trois ans, moins souvent dans les plus âgés, et rarement