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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/277

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atteintes, tout me paraît couvert d’un voile noir. Au surplus, elle a son dédommagement, et elle n’est pas plus tôt passée, que tout semble couleur de rose.

Je vais au théâtre Saint-Martin pour en retirer une pièce en cinq actes que j’avais écrite à Vichy en 1857 ; elle est intitulée : les Lingots, ou le retour de la Californie. La chose faite, je l’ai abandonnée à la grâce de Dieu qui ne l’en a pas comblée, car, de main en main et probablement de refus en refus, elle est arrivée, je ne sais trop comment, chez ledit saint où elle dort depuis bien des mois. Cependant je n’étais pas fâché de recouvrer mon manuscrit : j’en ai ainsi perdu plus d’un, et, par suite, je me suis aperçu qu’il y avait toujours eu là quelqu’un pour les trouver. À la suite des armées, on rencontre d’ordinaire un certain nombre de soldats traînards, lesquels, sauf leur personne, ne laissent rien traîner. Napoléon Ier les nommait les fricoteurs ; il les aimait peu, et de temps en temps, pour l’exemple, il en faisait une fricassée. La littérature a également ses fricoteurs qui, eux aussi, ne laissent rien perdre ; grande armée dont Paris est le quartier-général, corps spécial qui n’est pas riche en idées, mais qui a un talent particulier pour exploiter celles des autres et les accommoder au goût du jour. Sans doute tous ne sont pas des Vatel, et il en est qu’on pourrait, sans trop de sévérité, qualifier de gargotiers, mais il en est aussi qui ont porté leur art à une grande hauteur et qui sont ce que je nommerai les cordons-bleus du métier. Connaisseurs en bons morceaux, habiles à les cuisiner et à les servir à point, ils savent merveilleusement, sans avoir rien mis du leur, en composer une menu très-présentable.