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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/8

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paraît se rassurer un peu à mesure qu’elle approche de Paris où elle allait, me dit-elle, pour être institutrice. Je lui fis observer qu’elle était bien jeune pour de telles fonctions. Elle me répondit que c’était pour instruire un jeune enfant. Alors j’approuvai sa résolution.

Voyant que sa situation m’intéressait, elle devint aussi expansive qu’elle avait paru méfiante au départ. Elle me dit qu’elle ne connaissait pas ses parents ; qu’elle avait été élevée dans un couvent où, depuis son enfance, une main inconnu payait sa pension, mais que depuis deux ans on n’avait rien envoyé, et que les religieuses lui avaient laissé le choix entre le voile et un emploi hors du couvent ; que ne se sentant pas de vocation pour la vie du cloître, elle avait préféré la place que lui proposait la supérieure, de laquelle elle avait une lettre de recommandation.

Une lettre de crédit eût mieux valu. Ici je me souvins du vieux proverbe : Pas d’argent, pas de suisse, dicton aujourd’hui suranné, mais qu’on a rajeuni par celui-ci : Pas de dot, pas de mari. Or, les religieuses étant les épouses de Notre Seigneur, et Notre Seigneur ne pouvant pas être plus mal traité que le commun des mortels, on a dû naturellement leur appliquer le principe sanctifié par l’usage : Pas de dot, pas de religieuse, ou en d’autres termes, pas de vocation. Il est clair que la jeune fille ne pouvait pas en avoir, puisqu’elle n’avait ni sou ni maille : vox proverbii, vox Dei. On obéissait donc à Dieu en la rendant au monde ou en se débarrassant d’elle.

Je dus conclure de tout ceci que la recommandation ne pouvait être bien vive et bien efficace, et que l’avenir de la pauvrette n’était rien moins qu’assuré. Je lui de-