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Page:Boucher de Perthes - Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse.djvu/94

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toute sa longueur étaient assis des soldats, notamment des zouaves, non banquetant, mais lisant. C’était dans la bibliothèque et non chez le bibliothécaire que j’étais ; je sortis donc, et prenant un corridor que m’indiqua un employé, je trouvai bientôt ce que je cherchais.

Le savant conservateur me reçut en vieil ami. Je lui demandai alors si on avait envoyé chez lui un bataillon en garnison ou si la bibliothèque était devenue un quartier-général. — Non, me dit-il, ce sont mes lecteurs ordinaires, et depuis l’entrée de votre armée à Milan, j’ai eu tous les jours la même affluence. Ne croyez pas que ce sont des romans qu’ils me demandent, non, mais des ouvrages sur la guerre, sur l’histoire, sur les sciences, ou bien des voyages, des revues ; et jamais je n’ai eu des visiteurs plus paisibles et plus soigneux : jamais il ne m’a manqué un livre, jamais on n’en a endommagé. Je suis enchanté de vos hommes, et je voudrais toujours en avoir comme ceux-là. — Et des soldats autrichiens, en voyiez-vous souvent ? lui demandais-je. — Des officiers, quelquefois ; des soldats, jamais. — Le leur avait-on défendu ou était-ce insouciance ? C’est ce que le professeur ne put me dire, mais je suis porté à croire qu’il y avait défense. Il est certains gouvernants qui redoutent la science, comme d’autres l’ignorance ; ils croient qu’il y a profit à abêtir les hommes. — Oui ! à peu près autant qu’il y en aurait à changer les chiens en loups. L’ignorance est plus destructrice que la haine et que le fanatisme même : tous les peuples destructeurs furent des peuples ignorants. On a cru que le défaut d’instruction rendait l’homme plus facile à conduire ; c’est le contraire : l’ignorance,