Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/107

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jointure ; quelquefois je recours au chirurgien, quelquefois j’essaye de m’en passer, mais toujours avec aussi peu de succès. J’ai peur que de fil en aiguille on n’en vienne à me faire la même proposition qu’à M. de Fronsac : le jour et l’heure étaient pris pour lui couper le doigt, le pauvre petit bonhomme avait déjà consenti à sacrifier une petite partie du petit tout, mais son doigt fut d’un autre avis et la veille même de l’opération il guérit, ce qui pouvait faire penser que M. de Fronsac avait plus d’esprit dans son petit doigt que dans tout son corps. Quoi qu’il en soit, je te tends d’ici ma pauvre main estropiée et je baise la tienne et je te serre contre mon sein et je te baise comme l’enfant gâté de mon cœur.


Ce 20. — C’est tous les jours pis, mon enfant ; mon pauvre doigt ressemble à un vilain champignon et même la pression qu’il éprouve contre la plume en t’écrivant lui est douloureuse. C’est sans doute l’effet d’une violente agitation et presque d’une décomposition du sang causée par une chaleur continue et des pluies plus précoces qu’à l’ordinaire. Il se joint à cela un assoupissement continuel qui m’inquiète et m’affecte d’autant plus que j’en suis honteux et que je conserve tout en dormant assez de connaissance pour regretter de ne pouvoir pas me secouer pour me livrer à mes occupations. Il me semble que toutes mes facultés sont enchaînées, que toutes mes idées sont confondues et que mes sensations et mes pensées ressemblent à un cauchemar et à un rêve. Encore si dans ce rêve je te voyais toujours près de moi, si dans ce cauchemar je te sentais contre moi, j’attendrais plus patiemment le mo-