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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/148

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mais moi je m’en aime mieux et je sens que tu en fais autant. Je pense d’ailleurs que ce moment-ci est une bataille, où il faut que je sois dans tous les rangs, pourvu que tu ne m’y suives pas. Adieu, ma chère et très chère enfant ; je t’embrasse comme si je te voyais.


Ce 11. — Mes hôtes de Cayenne sont toujours ici et paraissent devoir y rester encore longtemps. Je suis très content d’eux et c’est une espèce de consolation pour moi de me trouver avec des compatriotes, qui, habitant depuis longtemps une terre près de Commercy, me parlent sans cesse des ouvrages, des monuments et des actions de mon premier maître. Mme la baronne d’Evieux est très douce et très honnête ; elle a suivi librement son mari et, de trois enfants qu’ils ont, elle a pris avec elle sa fille aînée, arrivée, dit-on, un peu avant la noce, pour montrer sans doute à son mari qu’elle marche plutôt en qualité de sa maîtresse que de sa femme. Que cela est loin des femmes qui n’écrivent même point à leur mari expatrié ! Au reste, mon pauvre petit train de maison se soutient toujours avec la même magnificence, quoique ce moment-ci soit le moins favorable de tous, parce que la grande terre est à présent mortelle pour les blancs et que les noirs occupés de leurs cultures ne sont point dans les villages et ne viennent point apporter de denrées. Les chasseurs ne chassent point, il ne vient point de poules au marché, je suis obligé d’envoyer de tous côtés des pirogues pour avoir de quoi donner à dîner. Mais enfin tout cela va tant bien que mal et j’espère au moins, après un court séjour dans ce pays-ci, y laisser une longue mémoire. Eh ! qu’importe ? diras-tu. Je ne