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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/149

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saurai que te répondre, sinon que l’homme est ainsi fait et s’il vivait avec des loups, il voudrait encore que ces messieurs hurlassent de lui en bien. Adieu, jolie femme ; quand verrai-je une ligne de ton écriture ? Je suis comme le pauvre damné, qui sans doute par discrétion ne demande qu’une goutte d’eau, mais il aurait avalé des fleuves et moi je dévorerais des volumes.


Ce 12. — La mort se promène toujours autour de moi. Voilà deux pauvres capitaines marchands, les seuls honnêtes gens qui eussent jamais paru dans ce pays-ci, qui ont disparu. Un chirurgien major d’un bâtiment du roi en a fait autant. Tous ces messieurs descendent aux royaumes sombres accompagnés d’une petite escorte, car tu penses bien que c’est ici comme à la guerre, où chaque officier tué mène avec lui huit ou dix soldats dans l’autre monde. Malgré tant de désastres, je vois avec plaisir que ma pauvre petite troupe est pour ainsi dire respectée ; ils sont bien logés, bien nourris, bien habillés, bien couchés, bien ménagés, bien punis, tout cela contribue beaucoup à la santé. Ce qui va le plus à l’hôpital ce sont les ouvriers et cela tient à leur ivrognerie et à leur manie de travailler toujours au grand soleil la tête nue. Si par hasard quelque sorcière de tes amies te montre jamais ton mari dans du marc de café, tu le verras toujours sous un grand chapeau rond couvert de papier blanc et grondant (même ceux qu’il gronde) d’être devant lui tête découverte. Dernièrement encore j’avais affaire à un petit officier qui venait de faire une sottise et je lui dis : « Monsieur, quoique j’aie à vous laver la tête, je vous prie de mettre votre chapeau. » Adieu, toi dont je